Éditorial de Décembre 2022

Espérance

Chers amis, nous entrons dans la période de l’Avent. l’Avent, nous l’oublions souvent, représente d’a- bord la période où l’on se prépare à la parousie, c’est-à-dire la venue du Christ dans la gloire à la fin des temps ; et dans les derniers jours précédant Noël, à faire mémoire de l’Incarnation de Jésus. Si cette période est traditionnellement un temps de mémoire et d’attente, de préparation et de pénitence, il est surtout, me semble-t-il, et peut-être plus que jamais, un temps d’espérance.

Espérance : quel beau mot ! Mais comme il devient rare dans la parole humaine ! Difficile en effet à première vue, à moins d’un effort surhumain, d’espérer en grand alors que notre monde ne résonne que de guerre, de violence, de destruction, de crise et d’extinction ! Dans son ouvrage La liberté, pour quoi faire ? Georges Bernanos, peu après la seconde guerre mondiale, écrivait :
« L’espérance […] est la plus difficile victoire qu’un homme puisse rem- porter sur son âme. » Oui, c’est vrai, nos âmes sont aujourd’hui assiégées, paralysées par notre monde et la manière dont on nous en rend compte. Figées par la peur des grands maux d’aujourd’hui, nos âmes fragilisées sont devenues le plus souvent incapables de dépasser ces frontières faites de murs et de barbelés qui se dressent entre nous et l’avenir. Difficile aujourd’hui de parler de bel avenir et d’espérance sans passer au mieux pour inconscient ou au pire pour illuminé. Et pourtant !

Pourtant, pour pouvoir vivre, il faut avoir un avenir. Et avoir un avenir, c’est avoir une espérance. C’est en tous les cas ce que nous en disent les Écritures ! Tandis que pour la sagesse grecque il peut y avoir une bon- ne et une mauvaise espérance, la Bible n’utilise ce mot que pour désigner l’attente de quel- que chose de bon et de favora- ble. Espérer, c’est saisir par la foi une promesse de vie et de salut. Avoir une espérance, c’est avoir un avenir qui, même s’il comporte des épreuves, sera bon. Mais ne nous y trompons pas, l’espérance du croyant ne vient pas de lui. L’espérance chrétienne, héritage de l’espérance d’Israël, ne naît pas d’un phénomène psychologique. Si le croyant espère, ce n’est pas uniquement et d’abord parce qu’il a besoin d’espérance, ou parce qu’une détresse présente le pousse à se réfugier dans l’espoir d’un avenir meilleur ; non, cette espérance-là ne dé- pend pas de nos états d’âme, elle n’est pas occasionnelle, mais essentielle à la vie du croyant, elle ne repose pas sur un vague secours, mais elle offre le salut. Rien de moins. Selon la Parole de Dieu, l’homme ne crée pas son espérance, il la reçoit, l’espérance est don de Dieu. L’espérance biblique est l’attente confiante d’un avenir donné par Dieu.

Il ne nous appartient donc pas de définir ou d’imaginer l’objet de cette attente car lorsqu’elle cesse d’être l’apanage de Dieu, elle devient une idolâtrie. Nous nous mettons alors à attendre et à espérer ce qui n’est que la projection idéalisée de nos rêves et de nos ambitions. La Parole de Dieu qui ne cesse d’appeler à la véritable espérance, dénonce impitoyablement les confiances illusoires en l’homme : « Maudit soit l’homme qui fait confiance à ce qui est humain » (Jérémie 17,5), ou en ses richesses : « Si j’ai placé ma confiance dans de l’or…j’aurais renié le Dieu d’en haut ! » (Job 31,24),

C’est bien là, ce qui fait le paradoxe essentiel de l’espérance biblique : elle est à la fois totale insécurité et totale assurance. Elle se dérobe à toutes nos pré- visions, à toutes nos prétentions. Comme le dit Paul dans Romains 4 verset 18, elle est « espérance contre toute espérance ». Mais parce que c’est Dieu qui nous la donne et qu’il en est le garant, elle est plus sûre qu’aucune certitude humai- ne, elle est ferme : « Nous nous rappelons sans cesse l’œuvre de notre foi… et la fermeté de notre espérance en notre Seigneur Jésus-Christ, devant Dieu notre Père. » (1 Thessaloniciens 1,3).

On voit dès lors combien l’espérance est liée à la foi. L’une ne va pas sans l’autre et c’est dans l’espérance que la foi trouve sa joie et sa paix, c’est sur l’espérance de la vie éternelle que la foi repose, c’est enfin par l’espérance que la foi découvre les glorieuses perspectives des accomplissements derniers :
« … en attendant notre bien- heureuse espérance, la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur Jésus- Christ. » (Tite 2,13).

Liée à la foi, l’espérance l’est aussi à l’amour. La Bible ne connait  pas  d’espérance  égoïste. Ce qu’on espère, on l’espère aussi pour les autres : le bon samaritain a fait preuve d’autant d’espérance que d’amour pour l’homme tombé aux mains des brigands, car il n’est pas possible d’aimer le prochain sans espérer pour lui et avec lui. La foi, l’espérance et l’amour constituent ainsi le fond même de l’être chrétien. (1 Corinthiens 13,13)

S’il ne faut pas chercher dans l’espérance de quoi dissocier les deux Testaments, ce qui diffère, cependant, c’est la situation de l’un et de l’autre par rapport à l’unique espérance. L’Ancien Testament espère en celui qui doit venir, le Nouveau Testament en celui qui est venu – et qui reviendra : Jésus-Christ. En une phrase d’un raccourci surprenant, Paul exprime ce paradoxe dans Romains 8 verset 24 : « c’est en espérance que nous avons été sauvés » (et non pas que nous serons sauvés). Espérance devient ici synonyme de Jésus-Christ.

En Jésus-Christ, l’espérance est confiante car le chrétien connaît l’avenir dans la fidélité de celui qui est le même hier, aujourd’hui et éternelle- ment (Hébreux 13,8). Celui qui a donné sa vie pour nous ne peut en effet que vouloir notre bien. C’est lui qui nous a délivrés… lui de qui nous espérons qu’il   nous   délivrera   encore. (2 Corinthiens 1,10)

En Jésus-Christ, l’espérance est vivante car par sa résurrection, il fonde l’espérance en la vie nouvelle et délivre du malheur des espérances qui ne sont que pour cette vie seulement : « Si c’est pour cette vie seule- ment que nous espérons en Christ, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Corinthiens 15,19)

En Jésus-Christ, l’espérance est eschatologique, c’est-à-dire que son objet est futur et pourtant déjà présent. L’avenir vient à nous, car Christ est aussi celui qui vient. En lui, ce qu’on espère est en marche à notre rencontre, et s’insère déjà par la foi, dans notre présent.

La morale chrétienne est une morale d’espérance car elle refuse les sécurités qu’offrent les choses visibles. Elle n’est cependant pas fuite hors du monde, mais au contraire prise au sérieux des réalités de ce monde qu’elle sauve du néant. C’est parce qu’il a mis son espérance dans le Dieu vivant, que le croyant peut vivre, travailler et combattre sur la terre (1 Thimothée 4,10).

Le chrétien est celui qui attend la réalisation de son espérance car le retour du Seigneur est pour nous, chrétiens, le temps de l’espérance et, de ce fait, toujours aussi le temps de la vigilance : « Ce que je vous dis, je le dis à tous : Restez vigilants. » (Marc 13, 13-37). L’attente vigilante du croyant n’est pas affaire de l’individu seulement, mais de tout le peuple de Dieu. Nous ne participons individuellement à l’espérance qu’en tant que membre de la communauté. Car c’est à tout l’Israël de Dieu, c’est à toute l’Église, c’est même à la création entière qu’est faite la promesse. La vie chrétienne est l’exercice d’une espérance et d’une vigilance partagées.

Chers amis, dans notre foi en Jésus-Christ, l’espérance est du côté de la vie. Oui, les choses que nous attendons, et comment nous les attendons, fondent pour une grande partie ce que nous sommes et orientent la manière dont nous vivons aujourd’hui et maintenant. Alors, profitons de ce temps de l’Avent, libérons- nous des murailles de peur et d’immobilisme qui nous encerclent et emparons-nous et clamons haut et fort l’espérance, don de Dieu, que nous a laissé le Christ en vivant parmi nous et en mourant et en ressuscitant pour nous.

« Car moi, le Seigneur, je sais bien quels projets je forme pour vous ; et je vous l’affirme : ce ne sont pas des projets de malheur mais des projets de bonheur. Je veux vous donner un avenir à espérer. » (Jér, 29,11)

A chacune et à chacun, bon temps de l’Avent et bon et joyeux Noël.

Christ vient !

Alain Mahaud

 

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