Éditorial d’Avril 2022
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Depuis sa réalisation en 1881, le tableau du peintre danois Carl Bloch, La Résurrection, n’a pas cessé d’être reproduit sur des cartes postales ou dans des livres d’art. Il constitue le retable de l’église Saint-Jacques de Copenhague qui, accessoirement, fut l’église de ma confirmation. Autant dire que ce tableau m’est familier.
A l’époque, je ne me posais pas trop de questions théologiques ou esthétiques. J’imaginais bien que Jésus était sorti du tombeau, nimbé d’une auréole et reçu par deux anges agenouillés. Ce n’est que plus tard que j’ai eu des doutes sur le décor et sur la légitimité de peindre ce dont personne n’avait été témoin. Aujourd’hui, je me demande même si ce genre de tableau à la longue n’a pas faussé les esprits et desservi le message de Pâques.
A vrai dire, on ne sait pas ce qui s’est passé après la mort de Jésus. Depuis la descente de la croix jusqu’aux apparitions, les quatre évangiles racontent bien la même histoire, mais diffèrent beaucoup quant aux détails. A tel point que beaucoup de choses, sur le plan historique, sont sujet à caution. Ce qui n’empêche pas que pour les évangélistes, chaque détail même le plus invraisemblable ait un sens. D’où la conclusion suivante : le message de Pâques ne dépend pas des circonstances plus ou moins aléatoires décrites par les évangiles. Il dépend du témoignage transmis par ceux et celles qui affirment avoir vu Jésus après sa mort, mais chaque fois « sous d’autres traits » (Mc 16, 12).
Dans son livre Jésus de 1933, Charles Guignebert, professeur de l’histoire du christianisme à la Sorbonne, écrit à ce propos :
« Que les disciples aient cru à la réalité des apparitions, cela ne fait pas l’ombre d’un doute et nous ne pouvons contester davantage qu’il y ait eu une réalité » (p. 636). Cette affirmation est à la fois correcte et intéressante. Correcte parce qu’elle correspond à ce qui est toujours l’opinion générale des exégètes. Intéressante parce qu’elle vient d’un auteur rationaliste et incroyant. Ensuite, Guignebert pense que le phénomène se réduit à des hallucinations collectives commençant par celle de Pierre au bord du lac de Tibériade. Nous voilà ramenés à la question essentiel- le : quel est le sens du message de la résurrection de Jésus ? Il ne concerne pas la réanima- tion d’un cadavre. A cet égard, le tableau sulpicien de Carl Bloch induit déjà en erreur. La postérité ignore ce qu’est devenu le corps de Jésus. Le tombeau vide symbolise cette ignorance. « Il n’est pas ici », dit l’évangile. Or il symbolise aussi l’échec final de la mort. Les ténèbres et la froideur moite du tombeau n’ont plus aucun intérêt. Il est possible de sortir de la mort, car la pierre a été roulée.
Alors, si la résurrection n’a pas pour objet le corps matériel, elle concerne autre chose. Je dirais volontiers qu’elle concerne la vie achevée de Jésus, c’est-à-dire l’ensemble de ce qu’il a fait et subi pendant son existence. C’est cette vie achevée, libérée de ses conditions terrestres, qui a été transformée en une identité nouvelle devant Dieu. On dit que certaines personnes qui pensent que leur dernière heure est venue peuvent en un instant, en un clin d’œil, revoir toute leur vie.
Par analogie ne peut-on pas dire que les apparitions du Ressuscité – qu’elles soient placées en Judée ou en Galilée – signifient que toute la vie de Jésus est tout à coup apparue aux disciples dans une lumière aveuglante ? Chaque épisode postpascal n’illustre-t-il pas une telle présence lumineuse qui, bien sûr, s’est limitée dans le temps, comme elle n’a concerné que ceux et celles qui avaient suivi Jésus ? Tout cela était complètement inattendu, mais vite une parole s’en est dégagée disant que le Ressuscité n’existe plus dans la mort, mais dans l’Esprit, et en ce sens toujours en communion totale avec Dieu. Pour nous aussi, cela reste une parole d’espérance inattendue. Elle se laisse formuler de main- tes manières, mais demeure une parole de vie que l’apôtre Paul résume ainsi : « Si l’Esprit de celui qui a réveillé Jésus d’entre les morts habite en vous […], le même fera aussi vivre vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8, 11).
Flemming Fleinert-Jensen